Petit rappel
Dans le contexte actuel et sous l’avalanche d’informations anxiogènes, le masque est perçu comme un élément protecteur pour soi et pour les autres. Sur l’échiquier médiatique, chaque partie désigne tel avantage ou inconvénient dans son utilisation quotidienne. Le masque est un outil interprété, intronisé vedette des plateaux télé. Pour consommer, travailler ou se divertir, la règle est la même : obligatoire pour tous. L’injonction est rabâchée, assimilée à tel point qu’elle fait aujourd’hui figure de loi élémentaire. Dans la manie ambiante, la règle dépasse même son rôle moralisateur jusqu’à se rendre grotesque. Interdire aux femmes d’accoucher sans leur précieux sésame, n’est-ce pas en faire un peu trop ?
Du point de vue de ses détracteurs, le masque serait une atteinte fondamentale à nos libertés, voire une tentative de museler le peuple, de le convertir impuissant. Peu importe si les soignants sont asphyxiés, hantés par la peur de revivre la situation du printemps dernier ; l’argument Orwellien domine. Pour aller dans ce sens, nous pouvons légitimement questionner – sans crier au complotisme – dans quelle dimension l’utilisation quotidienne du masque a-t-elle pu éviter cette seconde vague, ou du moins la ralentir ? Une seconde vague annoncée avant même la fin de la première, présageant le dénouement d’une prophétie autoréalisatrice.
À l’heure actuelle, quelles sont les arguments qui nous empêchent de supposer l’arrivée d’une troisième vague ?
Le masque ? Libération !
Pour se dégager de la perception d’un bout de tissu austère, civique et sanitaire, il s’agit de l’aborder comme une métaphore sociale, un instrument entre soi et les autres, une porte ouverte entre une partie interne et une partie externe de notre environnement.
Dans le raz de marée du bon geste – barrière, le masque possède un pouvoir silencieux, « vieux comme le monde », le masque est un réconfort. Utilisé avant tout pour se protéger, son utilisation théâtrale, ludique ou délictuelle permet de se dissimuler, se cacher, de faire main basse sur ce que l’on est pour se réinventer ou disparaitre. Nombreux sont les individus qui témoignent du plaisir de n’avoir à parler à personne. Nombreux oublient le masque qu’ils portent, en oublient aussi son sens actuel pour en revenir à son aspect symbolique : se fondre dans un rôle, se rendre indétectable.
Si ces utilisations prêtent à sourire, comme un réconfort à l’insupportable, le masque reste un tissu qui dissimule la zone orale indispensable à la parole. Paradoxalement, pour certains individus, il libère cette dernière, la décharge, la désenchaine. Bien plus que la parole, c’est aussi tout le corps qui se sent ôté d’un poids, sans doute, le poids du langage, de l’Autre.
Le masque est devenu un outil indispensable, ancré dans l’imaginaire collectif. Prenez comme exemple l’étrangeté que nous pouvons ressentir à la vue d’un reportage tourné en amont de la crise sanitaire. Les corps jouissent d’un sourire ou d’un baiser, nous sommes tout à coup assaillis par une bizarrerie, l’impression d’avoir vécu une période inconsciente, soumise aux dangers des postillons.
Quelques mois plus tard, » le monde d’après » remplis de belles intentions s’est dissous dans le monde d’avant où nous n’étions que des individus irresponsables et déraisonnables. Découvrez le monde de maintenant : prudent et violent.
Masque et smartphone : couple morbide
Noyé parmi les gestes barrières, le masque a la capacité de libérer les frustrations, atténuer les hontes, abolir les peurs, dissoudre les croyances. Il instaure une confiance chez le portant, dissimule les mimiques, encourage la neutralité, se dérobe du jugement.
Le masque crée de l’Un, du même, de l’asservissement, à l’intérieur duquel son utilisation peut se trouver subjectivée, magnifiée, détournée. Tout à coup d’égal à égal, et sous le même uniforme, l’individu peut se sentir le sujet qu’il n’a jamais été. Dans ce cas-là, tomber le masque, dans un tortueux jeu de rôle, revient aussi à apprécier sa texture douce, chaude, entendons-nous déjà l’argument du tissu en laine pour se protéger du froid à venir. Dans une dialectique inatendu, le bout de tissu libère la parole, le corps, et s’affranchit du regard de l’autre.
Quoi qu’il en soit, installé dans les représentations comme une prothèse indispensable, il complète l’attirail parfait, en supplément du smartphone, des outils de désocialisation et d’anéantissement des contacts humains. Le masque se fond dans la société pour devenir une arme retournée contre soi, un geste barrière, une pièce de mode. À chaque caractère, son utilisation.
N’oublions pas qu’il est aussi cet outil de libération, une liberté pas toujours assumée, chez des profils qui ont tendance à garder le silence, à sortir masqué.